Thomas Tuchel avait mis au défi son équipe de Chelsea de livrer « rien d’autre qu’un scénario fantastique ». Il ne pouvait pas dire qu’ils n’avaient pas tenu leurs promesses. Le problème était plutôt que les champions en titre n’étaient pas destinés à terminer ce grand voyage en héros. Il s’agissait d’une nouvelle histoire d’amour entre le Real Madrid et la Ligue des champions. Chelsea allait être le bouc émissaire.
Les indices étaient là, non seulement dans l’excellence de Karim Benzema, qui croit sans doute que ce scénario se termine lorsqu’il soulève le trophée de la Ligue des champions à Paris, mais aussi dans le visage familier de Thibaut Courtois. Le Belge a finalement été celui qui a empêché son ancienne équipe de se qualifier pour les demi-finales, grâce à une série d’arrêts de grande qualité qui ont permis aux Madrilènes de s’accrocher à une défaite 3-2 au cours d’une soirée qui les a vus s’imposer 5-4 sur l’ensemble des deux matches.
Ce n’était pas du tout l’équipe de Chelsea que nous avons appris à connaître sur la scène européenne. Lors de leur parcours en Ligue des champions la saison dernière, ils se sont installés dans un sillon dont Tuchel a rarement eu à les sortir. Un score favorable à l’aller et un match nul à l’arrivée. C’était le contraire du drame. Pour les neutres qui les ont suivis la saison dernière, c’était un cours magistral d’ennui.
Depuis les huitièmes de finale de 2020, Tuchel, alors à la tête du Paris Saint-Germain, n’avait plus eu à surmonter un déficit à l’aller dans cette compétition. À Chelsea, il avait obtenu trois victoires et un match nul à l’extérieur lors des quatre matches aller précédents. Son équipe avait pris l’habitude de tenir le haut du pavé lors du deuxième match, laissant des vagues d’attaques de plus en plus désespérées se briser sur leur mur défensif avant de donner le coup de grâce.
Au Santiago Bernabeu, aucune option de ce genre ne s’offrait à eux après le triplé de Karim Benzema au match aller. Tuchel a été contraint d’accepter l’absence de contrôle, du moins dès le début. Cela convenait plutôt bien au plus méticuleux des entraîneurs en chef. A Stamford Bridge, les Madrilènes avaient l’espace et le temps de jouer au rythme de Carlo Ancelotti. Chelsea n’a pas été aussi conciliant cette fois-ci.
C’était du football joué au rythme de la Premier League, Chelsea se lançant dans des défis, chassant en groupe et se précipitant sur le terrain lorsque l’occasion se présentait. Ce n’était pas sans risque, surtout en début de match, lorsque Federico Valverde et surtout Vinicius Junior s’engouffraient dans les brèches derrière les latéraux offensifs du système hybride de Tuchel, composé d’un arrière à quatre et d’un arrière latéral qu’il a tendance à privilégier.
Reece James, en particulier, semblait vulnérable après avoir reçu un carton jaune à peine 12 minutes après le début de la rencontre pour une faute sur Vinicius, mais il a été excellent, avec un superbe tacle à la 84e minute montrant son sang-froid alors qu’un penalty semblait être l’issue la plus probable. Cependant, Chelsea jouait sur une corde raide sur ce flanc particulier et si le Brésilien avait pris quelques meilleures décisions dans le dernier tiers, ce match aurait pu prendre une direction très différente.
On pourrait dire la même chose du fait que, pour une fois, un mauvais contrôle de Timo Werner a fini par aider la cause de Chelsea plutôt que de lui nuire. Cette fois, lorsque le ballon a touché le genou de l’Allemand, à sa grande surprise, il s’est retrouvé dans la trajectoire de Mason Mount, dont la frappe tonitruante a permis aux visiteurs de prendre le contrôle de cette rencontre.
Madrid n’avait tout simplement pas de réponse pour Mount, un homme qui s’était libéré de notions aussi simplistes que les formations et le positionnement. Une minute, il jouait le rôle de deuxième avant-centre, la minute suivante, il ajoutait du lest à un milieu de terrain qui était capable de repousser Luka Modric et Toni Kroos comme il n’avait pas pu le faire six jours plus tôt.
Pendant des décennies, les milieux de terrain anglais ont donné l’impression qu’ils ne découvriraient jamais l’acuité tactique nécessaire pour exceller sur des terrains comme celui-ci, des nuits comme celle-ci. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, comme en témoigne la prestation de Phil Foden contre l’Atletico Madrid il y a une semaine. Il a imposé sa volonté à des adversaires au palmarès des plus brillants.
Il était loin d’être le seul à réaliser une performance de très haut niveau. Antonio Rudiger a excellé dans toutes les facettes du jeu, son coup de tête qui a permis à Chelsea d’égaliser n’est même pas le meilleur moment de sa carrière, puisqu’il a empêché Karim Benzema de marquer un but qui semblait acquis après que Kroos ait pris N’Golo Kante dans sa poche au milieu de terrain.
Il fallait quelque chose de remarquable pour que Madrid batte cette défense. C’est ce qu’ils ont obtenu… deux fois. Il y a d’abord eu la magnifique passe de Modric et la volée de Rodrygo, destinée à être le moment de brillance oublié lorsque tout le monde se souviendra de ce but particulier. Puis vint un moment encore plus surprenant : l’excellente soirée de Rudiger, gâchée par un faux pas cruel de Benzema qui reprenait de la tête un centre de Vinicius. C’étaient les occasions des hôtes. Ils les ont saisies.
Comparez cela avec le nombre d’occasions de grande qualité que Chelsea s’est procuré, pas seulement le but de Marcos Alonso, exclu à juste titre pour une faute de main avant son tir tonitruant sur son pied le plus faible, mais aussi les superbes arrêts de Courtois sur Kai Havertz et Hakim Ziyech.
Si ces matchs ne reflétaient que ce qui s’est passé sur le terrain, alors Chelsea aurait pu être vainqueur. Ils ont gagné le match, le nombre de tirs par 25 à 10, et ont enregistré un nombre de buts attendus presque deux fois supérieur à celui de Madrid. Mais la narration a une grande influence dans cette compétition.
En fin de compte, Chelsea avait mis trop d’énergie pour donner à Tuchel le conte de fées qu’il voulait. Ils ont fait leur travail et ont réussi à revenir. Le problème, c’est qu’il restait encore quelques pages du scénario par la suite.